Journalisme de solution

07. Préparer et mener l’enquête /

Il n’y a pas vraiment de journalisme de solution sans un minimum d’investigation.  Les objectifs de ces deux types de journalisme différent mais les méthodes sont comparables.  

Il y a une différence d’objectifs mais pas forcément de méthode entre le journalisme d’investigation et le journalisme de solution. Quand l’investigateur cherche à dénoncer (un corrompu, un pollueur…), le solutionneur tente… de solutionner (la corruption, la pollution). À la limite, la solution devrait être la conclusion, le dernier épisode de nombreuses enquêtes d’investigation (c’est parfois le cas et ça fonctionne très bien).

Quant à la méthode, elle reste comparable entre l’adepte du JoSo et l’enquêteur par hypothèse telle qu’elle a été formalisée pour l’UNESCOP par le journaliste et formateur Mark Lee Hunter dans son manuel du journalisme d’investigation.

Le journaliste de solutions comme le journaliste d’investigation va formuler une hypothèse, chercher des sources ouvertes, éventuellement dénicher des sources fermées, s’appuyer sur des sources humaines, trouver des alliés, interroger leurs contradicteurs, vérifier leurs propos et enfin, produire des preuves.

Mais pour arriver à ce résultat, le « solutionneur » ne posera pas tout à fait les même questions que « l’investigateur » et sera plus obsédé par le « comment » que par le « pourquoi ».

L’utilisation de la data

Face à un problème, le premier réflexe en JoSo, c’est de rechercher les données pour vérifier comment se situe la zone étudiée par rapport à un ensemble. Par exemple, si votre hypothèse est qu’il y a des décès d’enfants par leucémie dans une certaine zone en raison d’une culture polluante du coton, il faut comparer les données de mortalité infantile sur tout le pays ou sur tout le continent. Puis croiser ces données avec les zones de culture du coton. Et là où le premier réflexe du journaliste d’investigation « classique » sera d’aller fouiner dans les secteurs où la mortalité infantile est la plus forte, le journaliste de solutions regardera où elle est la plus faible. Et il ira interroger les acteurs du secteur pour comprendre comment on est arrivé à ce résultat : grâce à la culture bio, une autre politique d’intrants, une implantation des zones cultivées éloignées des habitations, etc.

Toutes les enquêtes solution peuvent démarrer ainsi en exploitant les données.

  • Éducation : quel est la méthode de l’académie où la réussite scolaire est la plus forte.
  • Santé : quelles sont les villes ou les pays qui s’en sortent le mieux face à une pandémie et comment font-ils.
  • Politique de la ville : quelles sont les métropoles où les embouteillages sont les mieux contenus et quels sont leurs choix stratégiques.

Cette méthode qui part de la data a le mérite de mettre tout de suite l’accent sur le résultat.

Il faut ensuite bien sûr vérifier que des facteurs liés à un environnement exceptionnel ne favorisent pas un « bon score ». Les leçons à tirer d’un taux de réussite scolaire exceptionnel dans un quartier résidentiel par rapport à une périphérie enclavée sont par exemple très relatives…

Et il faut aussi que ces données soient fiables et disponibles, ce qui n’est hélas pas toujours le cas.

Les techniques d’interview

Après avoir recueilli des données ouvertes, le journaliste de solutions se transforme fréquemment en journaliste de terrain. La solution se raconte le plus souvent par le reportage et les entretiens avec les protagonistes.

Pour recueillir des infos, le reporter doit bien sûr s’acquitter du minimum requis auprès des victimes, des témoins et des acteurs de la solution en posant les questions de base de tout journaliste qui se respecte : qui, quoi, où, quand, pourquoi. Mais il s’acharnera surtout à demander « comment ». Comment on a fait pour arriver là, comment on gère cette approche des animaux sauvages, comment ça marche cet engin, comment on maitrise ce geste technique, comment on apprend un nouveau process. « Comment » est la question la plus utilisée quand on pratique le JoSo.

Mais ce n’est pas la seule.

En rencontrant les acteurs qui ont mis en œuvre une solution, vous avez tout intérêt à prévoir une liste conséquente de questions dont voici un échantillon non exhaustif.

  • En quoi votre idée est nouvelle  ?
  • Quelle est la première chose à faire pour la mettre en œuvre ?
  • Faut-il des compétences particulières pour l’appliquer ?
  • Comment acquérir ces compétences quand on ne les a pas ?
  • Comment ont réagi les gens concernées ?
  • Et qui était contre ?
  • Quels étaient leurs arguments ?
  • Et votre réponse ?
  • Est-ce que votre idée, ça marche en raison de votre environnement  ?
  • Qu’est-ce qu’il faut pour que ça marche ailleurs ?
  • D’autres personnes vous ont-elles contactées pour l’appliquer ?
  • Qu’est-ce qui ne fonctionne pas bien ?
  • Qu’est ce qui ne fonctionne pas du tout ?
  • Qu’est ce que vous allez faire maintenant ?

Ces questions peuvent sembler un peu intimidantes et, à la limite, suspicieuses. Mais la suspicion entoure souvent une enquête orientée JoSo qu’on accuse, parfois, de complaisance. Le meilleur moyen de ne pas succomber à « l’effet plaidoyer », c’est bien de chercher les limites de la solution et de les souligner.

Et si la solution ne fonctionne pas, ou mal ou peu, il faut le dire ! On apprend toujours des échecs.

Montrer, expliquer, prouver

Au-delà de l’interview, il faut aussi penser à illustrer la solution pendant le reportage. Un conseil qui vaut d’abord pour la vidéo car il est utile de filmer un process afin de pouvoir le reproduire. Les reportages solutions ont un aspect tutos qu’il ne faut pas négliger.

À l’écrit, cet aspect pratique ne doit pas être non plus négligé, notamment par des encadrés mode d’emploi qu’il faut préparer en phase de reportage.

À qui s’adresser pendant l’enquête

À tout le monde. Ou presque. Votre cible, c’est :

  • Les victimes du problème (sur une zone).
  • Et les anciennes victimes (sur une autre zone) bénéficiaires de la solution.
  • Les acteurs qui ont mis en œuvre la solution : concepteurs et pratiquants.
  • Les experts du problème.
  • Les adversaires de la solution.
  • Les représentants de la société civile et les autorités politiques.

Points à méditer

  • Quelle est votre hypothèse et quelles données ouvertes sont disponibles pour votre enquête ? Où pouvez-vous les trouver au niveau national (votre pays est-il engagé dans un programme d’Open Data) et au niveau global (consultez les études de l’ONU, de la Banque Mondiale, de la Bad, etc.) Voir les sites en opendata sur opendatainception.io
  • Quelles sont vos sources humaines. Vos alliés dans votre enquête. Listez-les.
  • Reprenez la liste de questions comprise dans « techniques d’interview ». Doublez-là par de nouvelles questions spécifiques à votre enquête (et qui commencent le plus souvent par comment !).

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