02. Pourquoi faire du Journalisme de Solution ? /
Parce que le journalisme ne se limite pas aux problèmes.
“If it bleed, it leads” : cet adage de la presse anglo-saxonne a longtemps été considéré comme un dogme par les rédactions du monde entier. Si ça saigne, ça baigne… et ça fait la une. La dramatisation de l’actualité est une constante, immuable, de la presse depuis ses origines. Certes, la hiérarchie de l’info obéit à plusieurs lois, temporelles, de proximité, de compréhension… mais c’est d’abord la tragédie qui prime. L’accident spectaculaire, l’attentat meurtrier ou le fait divers sanglant sont abonnés aux plus gros titres. Et une usine qui ferme et licencie 500 personnes occupe toujours plus de surface médiatique que 50 entreprises qui en recrutent 10.
C’est humain.
Et c’est inhumain.
Car l’accumulation de nouvelles déprimantes finit… par déprimer les plus optimistes.
Les mauvaises nouvelles nous tétanisent
Cette « hébétude désespérée » selon l’expression du psychiatre Patrick Lemoine dans son livre Le mystère du Nocébo (Odile Jacob 2011) devient « une sorte de méthode Coué à l’envers ». Autrement dit, la litanie quotidienne de catastrophes rabâchée par les réseaux sociaux, les radios et les chaînes d’info finit par tous nous persuader que ça ne va pas s’arranger, que le monde est hors de contrôle et que le pire est toujours à venir. Et surtout qu’on ne peut rien y faire. C’est ce que le psychologue américain Martin Steligman qualifie de « résignation apprise » : autrement dit un sentiment d’impuissance durable pour des individus matraqués par des messages ou des situations nuisibles.
Au point que certains psy conseillent maintenant à leur patients de ne plus écouter d’infos : « L’attention est une ressource rare », explique la psychanalyste franco-brésilienne Edileuza Gallet. Se laisser accaparer par le négatif nous remplit de négatif. Et cela a un impact terrible sur notre santé mentale. Mon premier conseil pour aller mieux, « c’est souvent : Arrêtez d’écouter les infos. Arrêtez la radio. Prenez votre petit dej en silence. Arrêtez tout, vous allez vous porter beaucoup mieux ».
Ce qui est nuisible pour les lecteurs finit par le devenir pour les médias. Les titres alarmistes nous donnent une bonne dose d’adrénaline… mais provoquent l’évaporation de notre audience. L’institut Reuters a fait une enquête dans une quarantaine de pays en 2019 et les résultats sont inquiétants. Un sondé sur trois évite régulièrement l’actualité. 58% car elle les met de mauvaise humeur. 40% parce qu’ils se sentent impuissants.
Les lecteurs réclament des solutions
Les journalistes sont régulièrement brocardés dans le top des métiers impopulaires avec les politiciens et les agents d’assurance. On nous reproche de trop en faire avec la pandémie, de ne pas traiter des problèmes des vrais gens ou de relayer la paroles des sachants. Et au final, l’audience est fragilisée par l’infobésité ou fatiguée par les infos négatives. Mais que faudrait-il faire alors ?
La BBC a posé la question à des jeunes de moins de 35 ans dans le monde entier (étude BBC et NextGen au Difitak Network Meeting 2015). Et les deux tiers d’entre eux veulent « des news qui apportent des solutions aux problèmes et qui ne se contentent pas de raconter certains problèmes ». Un désir de JoSo qui atteint 75% des jeunes Indiens, 78% des Nigérians ou 82% des Kenyans.
Le public n’est pas fou. Il sait ce dont il a besoin. Il y a une appétence pour les infos constructives et positives. Et les journalistes finissent aussi par s’en rendre compte.
Les journalistes ont besoin d’alternatives
Il est frappant quand on discute avec des journalistes adeptes du journalisme de solution de constater que nombre d’entre elles ou d’entre eux ont longtemps été experts en problèmes. Grands reporters, journalistes d’investigations, reporters de guerre, présentateurs de news : ils ont côtoyé pendant des années la misère du monde et la face obscure de l’humanité. Avec un sentiment d’impuissance mâtiné de voyeurisme.
Quand on finit par se rendre compte que notre mission que l’on imaginait pure, noble et toujours du côté du bien, produit surtout des effets négatifs sur les personnes qui y sont exposées, il arrive un moment de remise en cause personnelle.
C’est ce qui est arrivé à Sophie Roland, journaliste pour France Télévisions, elle a réalisé de nombreuses enquêtes pour Envoyé Spécial et Cash investigation. Des enquêtes pour dénoncer des scandales. C’est d’ailleurs le concept de Cash investigation. Mais on n’en sort pas forcément indemne : « Ça me déprimait de déprimer les gens. Et ça me déprimait tout court de passer mon temps à dénoncer. Ça m’a vraiment atteint. »
Sophie Roland a trouvé son remède… en prenant un billet pour l’Utah, aux États-Unis, afin de suivre un séminaire avec le Solution Journalism Network. « Là, j’ai posé toutes les questions, j’ai obtenu toutes les réponses. J’étais totalement convaincue et j’ai retrouvé une de ces patates ! ». Et aujourd’hui, elle travaille avec le SJN pour former des équipes de France Télévisions et y monter des concepts de JoSo (voir épisode 11).
Ex-Rédacteur en chef adjoint au quotidien suisse Le Temps, Jean Abbiateci a aussi voulu s’échapper d’une « spirale anxyogène et clivante » : « Je voulais sortir de ces éléments sur lesquels nous n’avons aucune prise ». C’est ainsi qu’il a créé le bulletin, une newsletter innovante et épatante pour « montrer ce qui fonctionne » (voir épisode 9).
Le JoSo n’est pas seulement une solution pour le journalisme. C’est aussi une solution pour les journalistes…
A méditer
- Discutez avec votre entourage, votre famille, vos voisins… Combien ne regardent plus les infos ? Ou le moins possible. Demandez-leur pourquoi.
- Etes-vous capable de vous déconnecter de l’info plus de 48 h ? Si non, demandez-vous pourquoi.
- Vous êtes-vous déjà senti découragé après un reportage, une investigation, un traitement de l’actu… pouvez-vous imaginer un angle différent que celui que vous aviez alors privilégié.
Un projet porté par CFI en partenariat avec France Médias Monde