Journalisme de solution

08. La méthode P.R.A.T.I.C. /

C’est un acronyme et un pense-bête. Si vous remplissez toutes les cases, vous ferez du bon JoSo.

Le journalisme de solution se distingue de nombreuses autres genres journalistiques par sa vocation holistique. C’est un journalisme total.

  • Car le JoSo donne la parole à de multiples acteurs, du lecteur au décideur, en passant par les faiseurs.
  • Car le JoSo peut revêtir différents formats : reportage, enquête, interview, série et même traitement pratique d’une info service.
  • Car le JoSo va au-delà de l’info : il a pour mission de donner du sens au traitement journalistique et peut influencer les décisions individuelles comme les stratégies publiques.
  • Car le JoSo ne s’arrête jamais. Ce n’est pas un format journalistique compacté dans une unité de temps, de lieu ou d’action. Le JoSo a des limites mais il n’a pas de fin. C’est pour ça que la série est le format qui lui convient sans doute le mieux.

Pour répondre à cet ambitieux programme, l’auteur de ces lignes a mis au point une méthode globale pour cocher toutes les cases et les remplir. P.R .A.T.I.C pour….

Quel est le Problème

Quelles sont les Réponses

Comment Agir

Avec quels Talents

Pour quel Impact

Avec quelle Continuité

Quel est le Problème

Le pré-requis pour réaliser un article orienté solution, c’est qu’il existe un problème qui le justifie. Un problème au sens large, il peut s’agir d’un simple besoin.

Les problèmes, tous les journalistes savent a priori les raconter : un littoral qui subit une érosion, des jeunes femmes qui se font agresser dans les transports en commun, des ados qui se font harceler à l’école, des braconniers qui menacent la survie d’une espèce, une maladie sans traitement qui prolifère, etc.

Le besoin est moins dramatique mais pas forcément anodin : le besoin de rééquilibrer le taux de scolarisation des filles ou d’apporter l’électricité en zone enclavée.

En JoSo, les problèmes ne sont jamais occultés mais au contraire, racontés, disséqués, décortiqués, en relatant les faits, en expliquant les causes, en évoquant les conséquences et toujours en répondant au 5 W… Avant de passer au « So What ».

Quelles sont les réponses

Si le problème est un élément indispensable pour faire un bon Joso, Ce sont les solutions qui doivent être au centre de l’enquête. Eh oui, ces réponses sont au pluriel. Car, face à un même problème, plusieurs solutions peuvent avoir été mises en œuvre dans des contextes et des lieux distincts ou lors de temporalités différentes : la pandémie du Covid-19 nous a ainsi familiarisé avec ces approches « fractales » : gestion des cas contacts au Vietnam, confinement « hard » en Chine, traçabilité avec des applications en Corée, pari de l’immunité collective en Suède, stratégie précoce du masque en Europe centrale, etc.

Pour que les réponses soient valables, rappelons quelques fondamentaux du JoSo :

  • Les solutions doivent d’abord avoir été testées « grandeur nature » et pas en laboratoire ou dans le cerveau de brillants penseurs.
  • Les solutions ne sont pas des plaidoyers ou des publi-reportages : on doit aussi rechercher leurs limites.
  • L’angle de l’article, le cœur de l’enquête JoSo, c’est la solution. Pas l’histoire de celui ou de celle qui l’a conçu ou le vécu de ces bénéficiaires. La solution, rien que la solution mais toute la solution : sa genèse, son but, ses effets et, surtout, son mode d’emploi.

Ce qui nous amène au « A » de P.R.A.T.I.C….

Comment Agir

Pour qu’une solution soit utile et pérenne, elle doit être reproductible. Et pour qu’elle puisse se diffuser, il faut l’expliquer de la manière la plus pédagogique possible. La méthode P.R.A.T.I.C., c’est aussi du pratique, des tutos, du service. Il ne faut pas seulement démontrer que les masques en tissu peuvent suppléer l’emploi des masques chirurgicaux dans certains cas ; il faut aussi expliquer comment les fabriquer s’ils ne sont pas disponibles.

La plupart des questions dans une enquête JoSo commencent par « Comment » :

  • Comment faites-vous ?
  • Comment avez-vous trouvé l’argent ?
  • Comment avez-vous convaincu telle personne ?
  • Comment ça marche ?
  • Comment enseignez-vous cette méthode…

Etc. 

Avec quels talents ?

Le JoSo, c’est un miroir, pas une vitrine. On ne met pas en avant des stars, des super héros ou des saintes. Superman ou Jeanne d’Arc ne sont pas reproductibles. Le JoSo met au contraire en scène des gens ordinaires qui produisent des effets extraordinaires. 

Pour que les compétences nécessaires à la mise en œuvre de la solution soient reproductibles, il faut qu’elles soient répandues. Pour fabriquer des masques en tissu, on a besoin de couturières, pas d’une nouvelle Coco Chanel.

Les savoir-faire doivent être accessibles. Déposer des sacs de sable ou planter de la pelouse et des vétivers pour endiguer les inondations torrentielles, c’est à la portée de (presque) tout le monde.

Quant aux outils, ils doivent aussi être sur le marché : machines à coudre, imprimante 3D… Une invention n’est pas une solution tant qu’elle est encore au stade de prototype.

Pour quel Impact

Une solution n’est valable que si elle a des effets. On a vu qu’un projet, un concept, une idée ne sont pas des réponses. En matière de JoSo, ce sont des brouillons.  

Même si la solution a été mise en œuvre, il faut évaluer ses résultats. Et pour cela accéder aux chiffres, regarder les réalisations, interroger les experts, les bénéficiaires, les témoins… et les détracteurs.

Bref, il faut des preuves… et des limites !

Enfin, il faut aussi vérifier que cet impact ne soit pas seulement utile aux concepteurs de la solution. Mais également à toute la société….

Avec quelle Continuité ?

« Le droit de suite est un devoir journalistique » dit-on à Nice Matin, l’un des médias pionniers du journalisme de solution en France. Souvent délaissé par le traitement traditionnel du journalisme conventionnel où une actu chasse l’autre, le droit de suite est au contraire l’ultime fondement du journalisme de solution.

Après l’enquête, après la publication, on continue à couvrir le sujet, à raconter les évolutions, à vérifier auprès des autorités si les décisions ont été prises.

On pourrait presque dire que le JoSo est une histoire sans fin. Une histoire qui peut…

  • commencer par une investigation pour dénoncer un scandale,
  • continuer par la description des solutions,
  • se poursuivre par le compte rendu d’actions concrètes,
  • persister encore et longtemps avec l’évaluation de ces actions.
  • Et même générer de nouveaux problèmes inattendus auxquels il va aussi falloir trouver des solutions !

Mais cette continuité nécessite parfois de sortir des chemins rebattus du journalisme old school. Pour cela, il faut engager l’audience du choix du sujet au suivi des résultats, rameuter les ONG et la société civile pour maximiser l’impact de la parution, interpeller les politiques pour obtenir des mesures effectives, bref préparer « l’effet de souffle ». Et continuer de souffler pour ne jamais lâcher l’affaire…

Le JoSo est une dynamique où les journalistes ne sont pas les seuls protagonistes.

À méditer

  • Le plan de l’article ne se cale pas forcément sur la méthode P.R.A.T.I.C. Il n’est pas toujours pertinent de commencer un dossier JoSo par le problème. Un reportage sur la solution est parfois l’entrée la plus efficace. Et vous, parvenez-vous à visualiser votre « attaque » ?
  • Il existe bien sûr d’autres méthodes pour pratiquer le JoSo. Vous pouvez vous inspirer de la technique très complète du Solutions Journalism Network sur leur learning lab (en anglais, en français, arabe, en espagnol, etc).  

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