Journalisme & santé

06. La collecte d’informations /

Poursuivons notre exploration du journalisme santé avec les méthodes de collecte d’informations.

Celle-ci est pour le moins particulière parce que les sources qu’il utilise ne sont pas en tout point semblables à celles des journalistes généralistes.

Si le journaliste santé a parfois recours au témoignage et à l’observation directe, cela reste néanmoins des pratiques périphériques. Pour le gros de son travail, le journaliste santé a essentiellement recours à quatre types de sources :

  • Les dépêches d’agences de presse qu’elles soient spécialisées ou non
  • Les entretiens et interviews avec des experts (médecins, chercheurs et autres spécialistes)
  • Les communiqués de presse et autres sites institutionnels ainsi que les conférences de presse
  • Les études scientifiques, qu’elles soient isolées ou regroupées sur des sites tel que org

Nous avons sollicité plusieurs professionnels afin qu’ils nous expliquent, à travers des interviews croisées, comment ils recueillent l’information et comment ils la sélectionnent.

Hanene Zbiss est journaliste et enseignante en journalisme à l’Institut de presse et des sciences de l’information (IPSI) à Tunis. Olivier Marbot est journaliste depuis plus de 20 ans et ancien rédacteur en chef adjoint de l’hebdomadaire satirique Siné Hebdo. Il travaille aujourd’hui à  la Revue, un bimestriel qui dépend du groupe  Jeune Afrique. Caroline Paré est journaliste et anime l’émission Priorité Santé sur RFI

Multiplier ses sources pour repérer, vérifier et valider l’information

1/ Le terrain

Caroline Paré – Journaliste – RFI – France

On part 4 à 5 fois sur le terrain en Afrique, plus des conférences en France. Quand on fait ces plateaux en Afrique, on va toujours dans des centres de santé ou dans des hôpitaux pour rencontrer des soignants et voir la prise en charge des patients. Là, ce sont des médecins, des chercheurs, des universitaires, des humanitaires sur place qui nous donnent des informations.

2/ Les sources institutionnelles

Olivier Marbot – Journaliste – Jeune Afrique – France

Ma première source d’info, c’est l’OMS. Pas pour retranscrire leur message, mais parce qu’ils ont une vision continentale de ce qui se passe, et ça nous intéresse. Ce sont des structures institutionnelles comme l’OMS, l’Africa CDC.

3/ Les études scientifiques

Hanene Zbiss – Journaliste  – Tunisie

On va aussi sur des sites qui publient des études scientifiques tels que « Research Gate », ou « PubliMed ».

4/ Les sites internet officiels

Caroline Paré – Journaliste – RFI – France

Il y a l’Académie de médecine, l’ANSM, l’agence nationale de sécurité du médicament, il y a Santé Publique France, on reçoit le bulletin épidémiologique.

5/ Les associations

Caroline Paré – Journaliste – RFI – France

On a des organismes associatifs, quand on parle de la Ligue contre le cancer, ou de collectifs de défense des droits des femmes contre les violences. On a beaucoup d’associations, de groupes qui nous envoient des communications.

6/ La presse médicale et généraliste

Caroline Paré – Journaliste – RFI – France

Source très importante : les livres. Les bons vieux livres. Des services de presse, dont médicale, nous en envoient beaucoup. Des revues médicales spécialisées qui arrivent par voie numérique, comme The Lancet, comme NEJM, New England Journal of Medecine.

7/ Les réseaux sociaux

Hanene Zbiss – Journaliste  – Tunisie

Les réseaux sociaux permettent également, à travers des groupes privés ou des groupes fermés, aux médecins, aux personnels de santé, ou même aux patients, de trouver des témoignages via Facebook, Twitter, LinkedIn, et parfois WhatsApp.

Protéger ses sources et s’assurer de la véracité des témoignages

1/ Recueillir des témoignages

Olivier Marbot – Journaliste – Jeune Afrique – France

Moi, j’ai fait les salles d’attente des hôpitaux de la clinique de chirurgie cardiaque à Dakar, et j’allais simplement voir les gens : « Bonjour, je suis journaliste, accepteriez-vous de me parler ? » En général, ils acceptent.

2/ Vérifier la fiabilité des témoignages

Hanene Zbiss – Journaliste – Tunisie

Pour obtenir des témoignages de personnes qui ne veulent pas révéler leur identité, ou des victimes du système de santé, par exemple, j’essaie généralement d’utiliser mes relations personnelles, par exemple avec des médecins avec qui j’ai travaillé auparavant qui pourraient me guider vers des victimes, ou avec des associations médicales, et parfois j’ai recours aux réseaux sociaux

3/ Respecter Le témoignage anonyme

Caroline Paré – Journaliste – RFI – France

La personne va d’abord parler avec nous. On va établir une relation de confiance, et à la fin, elle nous dit souvent : « J’en ai beaucoup dit, mais j’aimerais que vous ne disiez pas mon nom. » Ce sera le cas des femmes victimes de violence, qui vont dire « j’appelle de Lomé » alors qu’elles appellent de Cotonou, par peur que la famille écoute et qu’elles aient des représailles. On préserve l’anonymat, on ne met pas de photos sur le site. Il n’y a pas à discuter là-dessus, c’est normal.

Hanene Zbiss – Journaliste  – Tunisie

Parfois, la personne qui témoigne est une personne qui travaille à un poste sensible dans le domaine de la santé, et elle ne veut pas donner la preuve qu’elle est à l’origine des informations utilisées par le journaliste dans l’enquête. Dans ce cas, nous respectons son désir, en tant que journalistes, afin de ne pas lui faire de tort et ne pas provoquer son expulsion.

Donner la parole aux experts selon certains critères

1/ Privilégier le réseau personnel

Hanene Zbiss – Journaliste  – Tunisie

Premièrement, je m’appuie sur une liste d’experts avec lesquels j’ai déjà collaboré, et même s’ils ne sont pas spécialisés dans le domaine que je recherche, ils peuvent me conseiller des professionnels. Deuxièmement, je m’appuie sur des experts qui s’expriment dans les médias, car ils ont une certaine aisance dans la parole et peuvent donc communiquer facilement des informations scientifiques.

2/ Analyser la notoriété

Olivier Marbot – Journaliste – Jeune Afrique – France

On retombe dans un dilemme classique : est-ce qu’ils ont été interviewés partout ou pas ? Si oui, c’est un gage de crédibilité, de notoriété, c’est plus facile à vendre, mais ce sera moins original, donc il faut trouver un équilibre.

3/ Favoriser la vulgarisation du propos

Caroline Paré – Journaliste – RFI – France

Les grands critères pour choisir un interlocuteur, c’est d’avoir un esprit de santé publique, de ne pas s’adresser à un public ciblé. Si on parle de cancer, on parlera d’accès aux soins en général.

On ne va pas uniquement parler des derniers traitements innovants pour telle ou telle chose très spécifique. Il faut quelqu’un ayant une vision globale, capable d’adapter un discours de chercheur ultra performant dans un système de santé performant comme dans nos pays industrialisés, mais qui a une sensibilité au Sud, donc qui a conscience que ce n’est pas accessible à tous.

4/ Maîtriser son sujet

Olivier Marbot – Journaliste – Jeune Afrique – France

Le conseil qui me paraît le plus important pour aller solliciter des médecins, des chercheurs et collecter des infos, c’est de se documenter sérieusement sur le sujet dont il est question. Ce sont des gens qui se posent des questions précises qui ont une méthode scientifique avec des preuves, des protocoles. Il ne faut pas arriver trop la fleur au fusil, trop freestyle, ou leur poser des questions irréfléchies, car non seulement c’est inefficace, mais ça peut braquer la personne, et ça ne marche pas du tout.

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