Journalisme & santé

12. Les bonnes postures et les outils du journaliste santé /

Nous sommes maintenant presque arrivés au terme de notre série sur le journalisme santé.

C’est le moment de vous proposer des pistes pour adopter les bonnes postures et trouver les outils nécessaires pour accomplir ce métier riche et passionnant.

Le premier conseil vaut pour tous les journalistes mais c’est d’autant plus le cas dans un domaine qui bouge très vite et avec une certaine complexité : soyez curieux, tenez-vous quotidiennement au courant de ce qui se passe en faisant une veille au niveau local et international. Usez et abusez des newsletters, des magazines scientifiques et médicaux de par le monde ainsi que de celles des principales institutions comme l’OMS. Pensez également aux agrégateurs de flux RSS particulièrement utiles et à Twitter en repérant des leaders d’opinion.

Face à ces flux d’information toujours plus importants : cultivez l’art du doute ! Une information vous semble trop belle pour être vraie ? Remontez à la source. L’exemple type, c’est lorsque l’on lit que « selon une étude », on vient de découvrir une molécule miracle contre telle ou telle maladie. Mais, lorsque l’on remonte à ladite étude, la molécule est efficace in vitro ou sur des souris et n’a même jamais été testée chez l’humain…

De la même manière, maniez avec prudence les preprints, ces articles scientifiques qui n’ont pas encore été relus par des pairs.

Lorsque vous écrivez à propos d’études scientifiques, vérifiez la méthodologie et n’hésitez pas à utiliser le conditionnel en se référant aux limitations et conclusions souvent très prudentes des auteurs. Il n’est pas rare de surinterpréter un résultat qui, présenté de manière pondérée par l’équipe de recherche jusqu’à ce qu’une méta-analyse rigoureuse, vienne valider la thèse soutenue.

Dans le même ordre d’idée, distinguez ce qui est avéré de ce que l’opinion pense être vrai. Identifiez également les articles d’opinion ou de spéculation. Rappelez-vous que la science n’est pas une opinion mais se fonde sur des preuves solides.

Apprenez à connaître et à déjouer certains réflexes de jugement. Ceux-ci peuvent en effet conduire à des erreurs de perception, de raisonnements, d’évaluation, d’interprétation logique ou de jugement. On pourra donner l’exemple du biais culturel qui est la tendance à analyser, interpréter et juger les choses uniquement à travers le filtre de ses propres références culturelles. Celui-ci, nous l’avons vu, pourrait induire un mauvais traitement d’informations santé délicates telles que la santé sexuelle et reproductive.

Méfiez-vous aussi de « l’effet cigogne » qui fait confondre corrélation et causalité. C’est une erreur de raisonnement courante. Prenons un exemple. La sensation d’avoir froid précède généralement une affection fébrile. Peut-on en conclure qu’avoir froid déclenche ces affections ? Contrairement à une opinion répandue, le fait d’être assis sur des bancs de pierre froide, de marcher avec des chaussettes mouillées ou de sortir après s’être lavé les cheveux n’entraîne pas la sensation de froid ou la fièvre. La sensation de froid constitue le premier symptôme de la fièvre.

Prenez garde également à l’« effet blouse blanche » : ce n’est pas parce qu’une personne est  média ou chercheur qu’elle dit vrai ni même qu’elle est de bonne foi. Ainsi, choisissez vos experts avec soin. Un chercheur ayant reçu un prix Nobel pour un sujet scientifique n’est pas forcément pertinent sur tous les sujets scientifiques.

Face à un expert, n’ayez pas peur ni honte de ne pas savoir : poser des questions même si elles peuvent sembler naïves. Dites-vous que la majorité de vos lecteurs sont dans le même cas que vous !

Toutefois, afin de faciliter votre travail quotidien, n’hésitez pas à vous former, notamment à la lecture critique d’articles ou aux statistiques. N’hésitez pas, non plus, à aller chercher des ressources et aides auprès de ses pairs, par exemple par le biais d’associations professionnelles, comme la World Federation of Science Journalists. 

Il existe en outre un certain nombre d’outils et de méthodes pour vérifier (“fact checker”) l’information :

  • Identifiez la source initiale de l’information, vérifiez la nature de cette source. Est-elle parodique ? Connue pour être complotiste ?
  • Vérifiez les sources des visuels en utilisant la recherche d’images inversée sur Google
  • Analysez la construction de l’information et faites des recherches sur les données disponibles: noms de lieux, dates, personne
  • Examinez les détails qui accompagnent l’information : les infographies sont-elles correctes ? Les chiffres sont-ils justes ? D’où proviennent t-ils ?
  • Vous pouvez également vous aider du travail mené par vos confrères spécialistes du fact-checking sur des sites comme https://hoaxbuster.com/, http://www.hoaxkiller.fr/, https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/ , https://factuel.afp.com/

Concernant la rédaction : allez droit au but et visez une certaine objectivité dans les termes que vous employez. Les informations que vous traitez sont souvent complexes, parfois anxiogènes.

  • Utilisez le minimum d’adjectifs subjectifs dans les rapports ; par exemple : maladie «mortelle».
  • Utilisez les images avec soin pour éviter de diffuser un message inadéquat.
  • Lorsque cela est possible, évoquez les actions préventives ou les traitements ; cela peut rendre votre article moins effrayant.
  • N’oubliez pas que les analyses statistiques sont moins anxiogènes que les récits individuels.
  • Évitez les titres sensationnalistes et soyez créatif dans la présentation.

Terminons par l’expérience du terrain. Lorsque vous sollicitez des témoignages : traitez les personnes avec dignité, laissez-les vous raconter leur histoire. Faites preuve d’empathie et soyez transparent sur vos objectifs et obtenez son consentement éclairé sur la manière dont sa parole sera traitée. Sur le terrain, soyez toujours prudents, respectez les mesures de précaution et ne mettez pas votre santé en danger. Enfin, vous pouvez être amené à traiter des sujets difficiles et à voir des choses traumatisantes. Soyez en conscient et n’hésitez pas à en parler ni même à vous faire aider par un psychologue.

Bref, prenez soin de vous !

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