14. Le crash test du JoSo /
Utile, duplicable, social, crédible, pratique… le bon JoSo répond à de multiples critères. Voici en neuf questions comment valider son contenu.
Le reportage est fini, l’enquête est bouclée, l’émission est dans la boîte… Mais est-ce qu’on a produit un bon JoSo ? C’est-à-dire un contenu constructif, des solutions reproductibles, des réponses crédibles, un mode d’emploi pratique, et une utilité sociale, environnementale, citoyenne… La barre est haute mais l’objectif atteignable. Il suffit de répondre aux neuf questions du crash test !
1. Le problème est-il expliqué ?
S’il n’y a pas de problèmes, il n’y a pas de solutions. C’est la base du JoSo.
Attention, le problème n’est pas forcément une tragédie (climatique, humanitaire…). C’est peut-être simplement un besoin (d’éducation, d’égalité…). Mais quel soit son intensité et sa gravité… il doit exister. Sinon, on fait du journalisme de bonnes nouvelles. Ou au mieux, de la recension d’initiatives.
Le problème doit donc être présenté et expliqué dans toute sa complexité. Même si ce n’est pas le cœur de la narration.
2. Les solutions sont-elles claires ?
Le cœur de la narration, ce sont les solutions. Si le problème est (presque toujours) singulier, les solutions sont en effet (assez souvent) plurielles. Il est rare qu’il n’existe qu’une seule réponse. Pour limiter la propagation du Covid, la solution, ce n’était pas : soit les gestes barrières, soit les masques, soit le lavage de mains. C’était une alliance des trois réponses avec d’autres mesures, l’isolement des cas positifs, les tests des cas contacts, l’aération, etc.
En cas d’intensification des inondations sur une zone, de multiples réponses sont aussi disponibles : déplacement des zones habitables, plantation de certains arbres pour stopper l’érosion des sols, lutte contre l’artificialisation des terres, construction d’habitations « lacustres », etc.
Mais même si une seule solution est traitée, c’est bien son explication, ou plutôt sa vulgarisation qui doit être au centre du récit. La narration ne doit pas être trop technique, ni hors sol. Ce n’est pas un exposé d’expert. C’est une histoire simple à comprendre et (relativement) facile à reproduire.
3. Y-a-t-il une réponse à un problème social/collectif ?
Le JoSo n’est pas un fourre-tout où l’on tenterait de résoudre tous les problèmes du monde, des peines de cœur aux querelles de voisinage. En fait, le journaliste de solution doit répondre à un problème d’ordre collectif et pas personnel, ce n’est pas un praticien de la consultation individuelle. Plusieurs personnes doivent être concernées et la résolution de leur problème doit relever du bien commun et de la construction, n’ayons pas peur des mots, d’un avenir meilleur.
Comment savoir si on est du bon côté, les notions de bien variant d’un environnement à l’autre ? Il y a une grille de lecture ratifiée par 193 pays en 2015 pour ça. Votre production sera du bon JoSo si elle correspond à l’un des 17 objectifs de développement durable tels qu’ils ont été définis par l’ONU. Rappelons les en passant.
- Éradication de la pauvreté ;
- Lutte contre la faim ;
- Accès à la santé ;
- Accès à une éducation de qualité ;
- Égalité entre les sexes ;
- Accès à l’eau salubre et à l’assainissement ;
- Recours aux énergies renouvelables ;
- Accès à des emplois décents ;
- Bâtir une infrastructure résiliente, promouvoir une industrialisation durable qui profite à tous et encourager l’innovation ;
- Réduction des inégalités ;
- Villes et communautés durables ;
- Consommation et production responsables ;
- Lutte contre le changement climatique ;
- Vie aquatique ;
- Vie terrestre ;
- Justice et paix ;
- Partenariats pour la réalisation des objectifs.
4. La narration s’articule-t-elle autour de la résolution du problème ?
Le JoSo, c’est souvent une belle histoire, avec des protagonistes attachants et un récit exemplaire. Sauf que la belle histoire fait du bien au moral mais n’a aucun impact sur la société (voir question 3). La belle histoire ne sert à rien si on n’explique pas comment elle est possible.
Dans cette dernière phrase, le mot important, c’est « comment ». Comment fait-on. Comment cela se fabrique-t-il. Comment cela se diffuse-t-il. Comment apprend on. Comment on a trouvé la solution…
Toutes ces questions, il faut les poser. Et il faut raconter, décrire et détailler les réponses. C’est ainsi que le journalisme de solutions se distingue du journalisme positif.
5. Les preuves sont-elles visibles, palpables, concrètes ?
Même s’il fréquente moins le côté obscur de la force que le journaliste d’investigation, le journaliste de solution doit avoir les mêmes réflexes que l’enquêteur. Il faut multiplier les sources. Il faut aller au-delà des paroles et vérifier les actes. Autrement dit, le JoSo ne se limite pas à l’interview d’un responsable d’association. Le discours peut être formidable et la réalité plus nuancée.
Dans une enquête JoSo, on interroge les victimes du problème devenues (ou pas) bénéficiaires de la solution. On va sur le terrain pour vérifier les discours. On recherche des preuves d’impact : statistiques, réalisations…
6. L’histoire peut-elle être reproduite ailleurs ?
Vous avez une histoire exemplaire et des résultats tangibles, bravo. Mais est-ce utile à d’autres ?
L’épidémie du Covid-19 a donné de mains exemples de fausses bonnes solutions. Ce qui fonctionnait dans un pays ne pouvait pas s’exporter dans un autre. Peut-on reproduire dans un État démocratique, à la population disons indocile, une méthode d’isolement qui a fait ses preuves dans un État totalitaire peuplé de citoyens disciplinés ?
Des sujets environnementaux fonctionnent aussi dans certains contextes climatiques et pas dans d’autres. Certaines histoires ne sont possibles que parce qu’un mécène a dépensé des milliards. Et le mécène n’est pas une espèce qui se reproduit facilement.
Bref, il faut vérifier que ce qu’on raconte ne dépend pas uniquement du contexte local, du climat, d’un système politique, de la génétique ou d’un super héros. Et si l’histoire semble circonscrite à un contexte local, il ne faut pas pour autant renoncer à la raconter (car elle peut être inspirante). Mais en précisant bien toutes ses limites…
7. Y-a-t-il un mode d’emploi ?
Une solution, c’est comme un meuble un kit. Le meilleur moyen de reproduire une histoire, c’est de donner une notice explicative. Dans une enquête fouillée comme dans un reportage de terrain, quel que soit le sujet, un encadré pratique ou un tuto en image, c’est l’ingrédient simple qui donnera toute sa dimension au sujet. Et ce sera souvent la partie la plus lue ou consultée….
8. Y-a-t-il une dérive bisounours ?
C’est une tendance naturelle. Même le plus cynique des journalistes n’est pas immunisé contre l’enthousiasme. En pratiquant le JoSo, on rencontre des gens fantastiques qui accomplissent un travail colossal et réalisent des prouesses extraordinaires. Mais ce n’est pas la peine d’en rajouter : enlevez fantastique, colossal, prouesse et extraordinaires de cette dernière phrase. Et vous serez plus crédible.
« Entre deux mots, il faut choisir le moindre », disait l’écrivain Paul Valéry. Une histoire de solutions est forte intrinsèquement. Son récit doit être sobre sans adjectifs louangeurs et jugements de valeurs décrédibilisants. C’est le meilleur moyen de se prémunir de la dérive bisounours et du journalisme un peu niaiseux…
9. Y-a-t-il des avis contraires, des points de vues différents, des « sceptiques éclairés » ?
Les solutions à un problème déclenchent souvent de nouveaux problèmes. Il n’y a pas toujours de réponses « gagnant-gagnant » et les anciens bénéficiaires d’une situation peuvent devenir les victimes d’une solution. Quelle qu’en soit la justification, il ne faut pas le cacher.
Mais plus largement dans un sujet solutions, il faut rechercher les limites. Et pour cela rencontrer ceux qui les soulignent.
Ce sont souvent les opposants qui les professent mais ce sont aussi parfois les promoteurs de la solution qui les donnent honnêtement. Les experts sont aussi de bons doucheurs d’enthousiasme. Quoi qu’il en soit, il faut relever ces points de vue divergents, même si c’est hors angle.
On accuse fréquemment les journalistes d’investigation de mener des enquêtes à charge. Il serait dommage de transformer la quête de solutions en enquête à décharge…
À méditer avant de checker
- L’idée, ce n’est pas d’avoir 9/9. La perfection est rarement de ce monde ! Mais bien de dépasser la moyenne (5 sur 9). Et de respecter au moins les deux premiers sinon, ce n’est pas du JoSo !
- Il y d’autres check list. On a vu les quatre critères du SJN dans l’épisode 3. On peut aussi s’inspirer des critères d’information pour le Monde Suivant tels qu’ils sont définis dans « Nos paroles façonnent le réel » de Patrick Busquet (on en a compté 14). Exigeant mais complet !
- Dire le contexte, l’enjeu et/ou le besoin d’intérêt collectif
- Présenter la réponse, sa méthode, ses objectifs
- Présenter les acteurs, les partenaires de soutien et opérationnels, le financement de l’action
- Présenter le mode d’évaluation, les résultats
- Présenter l’impact et la potentialité de développement confirmés par des voix indépendantes
- Donner les contacts
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