Journalisme & environnement

10. Sécheresse et appropriation des eaux du Nil : témoignage du journaliste ougandais Fredrick Mugira /

Il n’est pas rare que des journalistes se regroupent au sein d‘un collectif pour mener une enquête approfondie. Le collectif InfoNile a mené sur plusieurs pays une approche d’investigation sur la sécheresse et l’appropriation des eaux du Nil. Leur travail a permis de révéler que les investisseurs étrangers acquéraient d’énormes étendues de terres dans la région, quitte à déplacer des communautés entières. Leurs investigations ont également permis de fournir des détails intéressants sur la manière dont on peut collaborer sur ce genre de reportage comme nous allons le voir avec le cofondateur de ce groupe transfrontalier, le journaliste ougandais Fredrick Mugira.

Fredrick Mugira – Co-fondateur d’InfoNile – Ouganda

“Nous avons le devoir de nous assurer que nous écrivons des articles qui contribuent à la sauvegarde de l’environnement. Nous devons dénoncer ceux qui le détruisent, et mettre en avant ceux qui œuvrent pour le préserver. Je pense que c’est le travail des journalistes, à présent.”

En novembre 2016, Fredrick Mugira co-fonde InfoNile. Une plateforme collaborative de géo-journalistes transfrontaliers.

Plus de 400 journalistes de 11 pays différents collaborent dans le traitement de sujets sur l’environnement et plus particulièrement sur les problèmes d’eau dans le bassin du Nil.

Fredrick Mugira – Co-fondateur d’InfoNile – Ouganda

“C’était très important pour nous de raconter l’histoire du Nil sous une forme composée. Il ne serait pas logique, par exemple, de raconter l’histoire d’une ressource transfrontalière de manière fragmentée. Nous nous concentrons sur un problème, comme le changement climatique ou l’accaparement des terres, puis nous accordons des bourses journalistiques à des journalistes de la région afin qu’ils travaillent sur le sujet.

Prenons l’exemple d’un article sur lequel nous avons récemment travaillé, intitulé : « Sucked Dry » (asséché). Nous étions huit journalistes du bassin du Nil. Nous avions un journaliste éthiopien, un journaliste soudanais, un Ougandais, un Sud-Soudanais, et un Kényan. Nous nous intéressions aux entreprises étrangères qui s’installent dans le bassin du Nil pour s’en approprier les terres, et à ce qu’elles en font. Elles renvoient leurs profits et leurs produits au Moyen-Orient.”

Pour mener cette enquête en partenariat avec Code of Africa, InfoNile a notamment travaillé avec Land Matrix.

Fredrick Mugira – Co-fondateur d’InfoNile – Ouganda

“Land Matrix est une organisation internationale qui surveille les accaparements des terres partout dans le monde. Nous avons collaboré avec leurs bureaux en Afrique du Sud, et nous avons pu suivre les différents cas d’accaparement des terres dans le bassin du Nil, en connaître le nombre, l’identité des acheteurs, la quantité de terres qu’ils se sont appropriées et leur localisation.

Ce sont des choses que les journalistes ne peuvent pas faire, car nous ne pouvons pas nous rendre dans ces régions pour en savoir plus et documenter le sujet. En tant que journalistes, nous ne pouvons pas tout faire.

Code For Africa est intervenu pour nous aider à visualiser ces données.

Je suis convaincu que l’impact d’un article dépend de la manière dont l’histoire est racontée. Si l’on rend une histoire plus attrayante, en l’accompagnant par exemple de graphiques, de vidéos, elle aura forcément un plus grand impact auprès de la population ou la communauté visée que si l’on écrit simplement un texte.”

Cette plateforme de géo-journalisme utilise le datajournalisme pour cartographier les données traitant les problématiques de l’eau dans le bassin du Nil.

Fredrick Mugira – Co-fondateur d’InfoNile – Ouganda

“Nous écrivons des articles différemment, grâce à la géotechnique, en utilisant les données de localisation obtenues par des scientifiques. Lorsque les journalistes travaillent sur ces sujets, ils produisent des articles locaux dans leur pays. Ensuite, ils nous envoient une version internationale de leurs articles, et nous les compilons dans un projet commun.

Pour « Sucked Dry », nous avons pu cartographier ces récits en fonction du lieu où se trouve le reporter, et où se déroule l’histoire. Si c’est au Kenya, on peut cartographier ces reportages dans le bassin du Nil.”

Cette enquête a permis de révéler que plus de 10 millions d’hectares de terres sont détenus par des investisseurs dans 11 pays qui forment le bassin du Nil.

Aujourd’hui, l’extraction non réglementée de l’eau est la plus grande menace environnementale de ce fleuve, un enjeu crucial pour l’Afrique tout entière.

Fredrick Mugira – Co-fondateur d’InfoNile – Ouganda

“Aujourd’hui, il y a des conflits concernant l’eau entre les pays du bassin du Nil. Nous voulons savoir qui puise cette ressource et en quelle quantité. Par exemple, s’il y a extraction d’eau sans redirection, cela va affecter les eaux du Nil.

Quand on aborde le sujet de l’eau, il ne s’agit pas seulement de l’eau du Nil. Des entreprises étrangères viennent en Afrique, dans le bassin du Nil, non pas pour s’approprier les terres, mais les ressources qu’elles renferment. Cette ressource, dans le bassin du Nil, c’est l’eau. C’est pourquoi je suis convaincu qu’il est essentiel d’écrire des articles au sujet de l’eau, aujourd’hui comme demain.”

InfoNile a reçu l’aide du fonds Pulitzer pour mener cette enquête.

Fredrick Mugira reste persuadé qu’enquêter sur l’environnement, c’est aussi promouvoir la paix transfrontalière au bord du Nil grâce à l’information.

Fredrick Mugira – Co-fondateur d’InfoNile – Ouganda

Cela inclut la science, l’histoire, la biologie, tout. Lorsqu’on souhaite écrire des articles sur l’environnement, il est aussi très important de se spécialiser dans un domaine particulier de l’environnement. Cela paye. On devient expert dans ce domaine, et on est capable de sauver son pays, sa nation, ou sa région en parlant aux habitants de la préservation de l’environnement, en promouvant la sauvegarde de ces ressources, ce qui demande un esprit éclairé.

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