12. Vers un monde sans infox ? /
Le fact-checking a déjà une longue histoire derrière lui. Consubstantiel de la pratique journalistique, il s’est développé ces dernières années sous de nombreuses formes, partout dans le monde, et au sein de rédactions traditionnelles ou de médias spécialisés. Rempart contre les infox, et donc utile dans le combat pour une meilleure information de la population, il souffre également de l’image dégradée de la profession journalistique. Et de la crise du secteur de la presse, qui frappe tous les continents et empêche le recrutement de nouveaux journalistes, ou la formation des professionnels à de nouveaux outils.
Difficile, pourtant, d’envisager la disparition du fact-checking. À l’heure où les théories du complot prennent de plus en plus d’ampleur, et où la pandémie qui nous frappe donne naissance à des infox qui peuvent avoir un impact sur notre santé, les fact-checkeurs sont essentiels. L’Organisation mondiale de la Santé, qui n’hésite pas à parler “d’infodémie”, a récemment poussé les réseaux sociaux à prendre des mesures pour endiguer la viralité des fausses informations. L’objectif ? Mettre en avant les contenus en provenance des sources officielles, et supprimer ceux promouvant des remèdes miracles.
Cet appel aux grandes plateformes, comme Facebook et Google, est devenu un schéma récurrent. Les initiatives se sont multipliées. Facebook s’est associée avec une cinquantaine de partenaires en quarante langues dans le monde pour vérifier les fausses informations circulant sur son réseau, et alerter automatiquement les utilisateurs. Whatsapp tente également de son côté d’endiguer le flux de fausses informations sur sa messagerie, tandis que YouTube mise sur des algorithmes de détection automatique ou des suspensions de compte, tout en continuant à promouvoir des vidéos complotistes dans ces “recommandations”. Donner aux plateformes la responsabilité de contrôler la diffusion de fausses informations ne suffit pas, et pourrait bien s’apparenter à un jeu dangereux : que se passe-t-il si Mark Zuckerberg décide un beau jour que tous les messages contenant le terme “Allah” sont supprimés automatiquement de sa plateforme ?
Pour lutter contre ce nouveau mal du siècle, certains préconisent plutôt d’associer les personnalités influentes sur les réseaux sociaux pour participer à l’effort collectif. Ou bien d’aller systématiquement à la rencontre des administrateurs des groupes Whatsapp et Facebook les plus populaires afin de les sensibiliser et de les former. En attendant que ce travail colossal soit effectué, et que les citoyens du monde entier soient mieux éduqués à la consommation d’informations, les fact-checkeurs vont devoir poursuivre leur travail de fourmis. Même si celui-ci est difficile, et que certains journalistes spécialisés évoquent une lassitude face aux attaques permanentes de militants convaincus sur les réseaux sociaux.
Une autre piste, explorée par le chercheur Tom Rosenstiel, pourrait s’avérer intéressante. Il milite pour une vérification qui s’intéresserait davantage au contexte qui amène tel homme politique à énoncer une fausse information. L’idée est pour lui que les fact-checkeurs prennent de la hauteur, et évitent d’articuler tout leur travail en réaction à des théories ou informations absurdes. Le journaliste fact-checkeur pourrait alors être davantage proactif, en identifiant les éléments de confusion autour de questions importantes. Un fact-checking qui reviendrait à l’un des fondamentaux du journalisme, que l’on peut résumer par la phrase “le contexte est roi” (context is king).
Autant de pistes qui permettront, on l’espère, petit à petit, article de vérification après article de vérification, de donner à chacun les outils pour vivre dans un monde où les infox et autres théories du complot n’auront plus autant d’impact qu’aujourd’hui.
Un projet porté par CFI en partenariat avec France Médias Monde