04. Inkyfada, le fact-checking à la tunisienne /
Les fausses informations font peser une menace sur nos sociétés, mais le fact-checking, qui a pour objet de les vérifier, est un moyen de s’en protéger. Et cela, Malek Khadhraoui l’a bien compris. Co-fondateur du site tunisien Inkyfada en 2014, il en assure aujourd’hui la direction de la publication.
Malek Khadhraoui – Co-fondateur d’Inkyfada – Tunisie
La seule source possible d’informations fiables reste quand même un média et des journalistes professionnels, qui, en se basant sur les règles du métier, leur apportent l’information la plus juste et fiable possible.
Après des études de gestion financière menées en France, Malek décide de rentrer en Tunisie en 2011 lorsque la révolution du Jasmin éclate.
Malek Khadhraoui – Co-fondateur d’Inkyfada – Tunisie
La Tunisie sombrait dans… l’une des plus violentes dictatures en termes de censure et d’atteinte à la liberté de la presse. Et en Tunisie, il y avait un manque énorme d’informations, surtout sur la répression, sur les tortures et les exactions du régime. D’abord, j’ai contribué à un site d’informations durant la diaspora, qui était basé en Europe. Et petit à petit, on a fondé un média qui s’appelle Nawaat à l’époque en 2004. Ça m’a mené jusqu’en 2011, à la chute du régime. Quand je suis rentré en Tunisie, l’idée de créer un média était presque une évidence.
Inkyfada est créé en 2014 par 7 personnes : 4 journalistes, 2 développeurs et un designer.
Malek Khadhraoui – Co-fondateur d’Inkyfada – Tunisie
L’idée derrière Inkyfada était de prendre le temps pour bien travailler nos sujets, en opposition à la frénésie de l’actualité du hot news. D’où l’intérêt de créer ce média qui fait du slow journalism qui explore des formats lents, de l’enquête au webdoc, au data journalisme. Ça a toujours été dans l’ADN de notre média de développer et de faire travailler tous ces corps de métier ensemble. Aujourd’hui, nous avons aussi des data scientists, des gens qui travaillent sur les données et les analysent. Nous avons des outils qui se basent sur l’intelligence artificielle et le machine learning pour pouvoir passer en revue des documents volumineux, ou des sets de données importants. Les designers travaillent avec les journalistes pour rendre l’information perceptible et facile à comprendre à travers des infographies, parfois interactives, de la modélisation 3D, pour pouvoir expliquer des environnements ou des situations. Ces corps de métiers sont intégrés dans la rédaction. Ce ne sont pas des techniciens, ils sont dans le process dès le premier jour, assistent aux conférences de rédaction et accompagnent les journalistes dans toutes les étapes de leur travail.
Selon Malek, le fact-checking est devenu une pratique journalistique à part entière ces dernières années pour deux raisons :
Malek Khadhraoui – Co-fondateur d’Inkyfada – Tunisie
La première, c’est justement l’éloignement de la profession de ce travail rigoureux La course au scoop, au buzz, et aux informations rapides, et de l’autre côté, une démultiplication des personnes qui veulent manipuler cette information à travers les outils tels les réseaux sociaux et autres. Il y a ce double besoin aujourd’hui d’en faire une pratique à part entière, alors qu’elle était le fondement du métier de journaliste.
Malgré une loi organique de mars 2016 relative au droit d’accès à l’information, le travail des fact-checkeurs reste encore difficile aujourd’hui en Tunisie.
Malek Khadhraoui – Co-fondateur d’Inkyfada – Tunisie
Nous, journalistes, on peine à accéder aux sources officielles, à pouvoir collecter l’information des ministères ou des officiels, ou d’autres… même des entités privées, ce qui rend notre travail bien plus difficile. On a les mécanismes juridiques pour ça, mais ça prend du temps. Gagner des procès en accès à l’information à travers les instances prévues pour ça… Et entre-temps, la fausse information continue à circuler, de manière très fluide et très facile avec les nouveaux moyens de communication.
Comment s’opère la vérification d’informations dans une rédaction comme Inkyfada ?
Malek Khadhraoui – Co-fondateur d’Inkyfada – Tunisie
La rédaction a mis en place tout un processus de vérification à toutes les étapes, du premier pitch du journaliste jusqu’à la validation finale, à travers le travail de la directrice éditoriale, qui est une sorte de contrôleuse de qualité dans notre rédaction. C’est un processus qui se base le plus possible sur l’enregistrement des interviews qu’on a avec les sources. D’avoir accès à des documents officiels de pouvoir recouper ces informations avec d’autres sources, et on essaye de transmettre à tous les journalistes qui rejoignent notre rédaction d’avoir toujours un regard critique sur n’importe quelle information, aussi séduisante qu’elle puisse être. Il y a toujours les biais de confirmation auxquels il faut faire très attention. Voir si on peut obtenir l’information d’une autre personne et être très méfiants sur les sources anonymes, sur les informations qui nous arrivent sans source définie. Il arrive très souvent que des informations ou des questions pas très bien documentées soient retirées de l’article. Donc on préfère parfois ne pas aborder une question plutôt que de l’aborder sans être sûr de l’information qu’on tient.
Le fact-checking est-il suffisant aujourd’hui pour lutter contre l’infox ?
Malek Khadhraoui – Co-fondateur d’Inkyfada – Tunisie
Le rapport de force est disproportionné. Ceux qui veulent propager de la fausse information ont beaucoup plus de moyens qu’une rédaction. Eux, ne se soucient pas de vérifier, ni de processus de travail. La vraie bataille, c’est la reprise de la confiance. C’est redonner confiance aux citoyens dans les médias et dans le travail de journaliste. Cela ne veut pas dire que les citoyens, les gens sur Facebook, ne peuvent pas remonter de l’information, et alerter les journalistes sur des choses qui se passent que les journalistes ne voient pas. Le travail peut-être en collaboration avec ces individus et citoyens. Et que les citoyens pensent et croient encore que c’est le seul endroit où l’on trouve de l’information juste.
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