Journalisme & fact-checking

03. Un siècle de fact-checking /

Avec la protection des sources, la vérification par les faits est au fondement de ce qu’on appelle la déontologie journalistique. Il s’agit d’un ensemble de règles et de devoirs que les médias s’imposent dans le cadre de leur travail. Une tentative de formalisation a été faite en 1971 dans la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes, dite Charte de Munich, adoptée par les syndicats de six pays européens. Protection des sources, respect de la vie privée des personnes, interdiction du plagiat et de la diffamation… Les devoirs listés sont essentiels. Mais tous découlent du premier d’entre eux : “Respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences […], et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité”.  Le fact-checking, qui a vocation à vérifier la véracité d’une déclaration ou d’une information, est donc l’un des piliers du journalisme. Mais cela n’a pas toujours été le cas, du moins sous ce terme.

Comme son nom l’indique, le fact-checking en tant que pratique professionnelle à part entière est né dans les rédactions américaines. Le terme a été forgé dans les années 1920. En 1923, le Time Magazine est le premier à créer une équipe de fact-checkeurs afin de vérifier les faits présents dans les pages du magazine, dont beaucoup étaient consacrées à l’investigation. Il existe toujours quelques fact-checkeurs de ce type, notamment pour vérifier les faits contenus dans les grandes enquêtes, mais cette conception traditionnelle du métier a tendance aujourd’hui à s’effacer au profit de celle que l’on connaît aujourd’hui.

Dans les années 1990, le fact-checking connaît une première révolution. Certains journalistes se spécialisent en effet dans la vérification des déclarations des hommes et femmes politiques, et revendiquent le terme de fact-checkeurs. La deuxième révolution du métier est liée à deux facteurs : la démocratisation d’Internet et le 11-septembre 2001. L’avènement d’une technologie permettant à tout un chacun de publier des informations sans être soumis aux règles déontologiques augmente considérablement la masse de fausses informations en circulation. Quant à l’attentat contre le World Trade Center, il donne lieu à une profusion de théories du complot, alimentées par le 9/11 Truth Movement, qui doute de la version officielle des événements. Les journalistes s’organisent donc, et répliquent avec la création de sites Internet dédiés entièrement au fact-checking, comme Factcheck.org en 2003, ou Politifact en 2007.

Le fact-checking moderne prend alors son envol, et s’adjoint les services de technologies toujours plus accessibles. Certains journalistes vont alors se spécialiser dans l’analyse de grandes masses de données afin d’en retirer des éléments de vérification d’informations. Ces statisticiens au service de la vérité sont appelés “data journalistes”.

Toutes les rédactions du monde s’intéressent depuis de près ou de loin au fact-checking, et beaucoup ouvrent des rubriques spécialisées. Mais, grâce à Internet, beaucoup de projets de fact-checking naissent en dehors des médias traditionnels. Plusieurs sites spécialisés apparaissent ainsi : Africacheck en 2012, Gomaneh en Iran en 2013, Fatabyyano, actif dans le monde arabe depuis  2014, Boom en Inde la même année, ou encore Teyit en Turquie en 2016. On estime aujourd’hui à plus de 300 le nombre de sites spécialisés dans le fact-checking dans le monde entier. Beaucoup d’entre eux sont réunis au sein du réseau international du fact-checking de l’ONG américaine Poynter, lancé en 2015 pour soutenir le développement de ces médias.

Depuis l’apparition et la structuration de cette nouvelle pratique, de nombreuses critiques ont émergé. Pour certains experts, trop se focaliser sur les faits, c’est leur donner une importance qu’ils ne méritent peut-être pas. Et en créant des rubriques spécialisées dans la vérification des faits, les médias peuvent laisser penser qu’ils ne vérifient pas forcément tout ce qui est écrit dans le reste de leurs articles. D’autres critiques se penchent plus sur l’efficacité relative du fact-checking. Pour les tenants de “l’ère post vérité”, le fact-checking est inutile, puisque la vérité elle-même n’a plus de poids dans un monde où ce sont les croyances et les émotions qui priment. Pour autant, et comme on l’a vu, la vérification des faits doit être au cœur de notre travail de journalistes, et peut dans bien des cas avoir un impact positif sur la société dans laquelle il se déploie.

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