Journalisme & fact-checking

07. Dans la tête d’un fact-checkeur /

Comment se passe concrètement la journée de travail d’un fact-checkeur ? Quelles sont les qualités à avoir, ou à acquérir, pour travailler vite et bien ? Plongez dans la tête d’un fact-checkeur qui illustre parfaitement l’aspect protéiforme du fact-checking en 2020.

Sophie Malibeaux – Journaliste – RFI – France

Il y a une sorte de guerre asymétrique entre ceux qui font de la manipulation et qui ont des heures de vidéos qui circulent sur Twitter, et le temps qu’on a en tant que journalistes pour démonter ces échafaudages de théories complètement sulfureuses.

Je suis Sophie Malibeaux, journaliste à Radio France Internationale où je travaille sur le fact-checking et les théories du complot dans une émission nommée « Les Dessous de l’Infox ».


Quelles sont les qualités principales d’un fact-checkeur ?

Sophie Malibeaux – Journaliste – RFI – France

C’est franchement d’avoir un questionnement honnête par rapport au fait d’actualité, de chercher toujours à en savoir plus, à croiser les sources. Et de se méfier de ses propres biais, de prendre de la distance par rapport à ses croyances, et d’interroger les faits tels qu’ils arrivent et de ne pas hésiter à se remettre en question soi-même.

Je n’aime pas le mot « objectivité », car on fait toujours des choix quand on traite d’une info ou d’une fausse d’info, d’ailleurs.

Il faut en être conscient, c’est une question d’honnêteté professionnelle.


Quelle est la vérification d’une infox qui vous a le plus marqué ?

Sophie Malibeaux – Journaliste – RFI – France

En amont des élections en Guinée Conakry et en Côte d’Ivoire, un document du département d’État annonçait quasiment une guerre dans ces pays, une implication des armées, des résolutions onusiennes.

En réalité, sans rentrer sur le fond, la façon dont ce communiqué du département d’État était formulé, ça n’avait pas la forme habituelle.

Les formulations n’étaient pas celles d’une administration, il y avait des fautes d’orthographe, de traduction.

Il n’aurait même pas dû y avoir de traduction.

Beaucoup d’indices montraient que c’était faux.

De toute façon, ce communiqué était absolument introuvable sur le site du département d’État.

Pour les images, il y a des outils. Des choses plus techniques, la fameuse recherche d’images inversée.

Parfois, les outils sont défaillants. Là, je vais en référer à nos spécialistes science, ou santé, pour savoir quel chercheur travaille précisément dans ce domaine.

Ce qu’on voit et ce qu’on a beaucoup vu avec la crise du Covid-19, c’est des généticiens qui parlent de symptômes d’un syndrome respiratoire. Ce n’est pas approprié. On a l’embarras du choix, mais ce choix se travaille.


Comment repérer une fausse information, une déclaration douteuse ou une photo détournée ?

Sophie Malibeaux – Journaliste – RFI – France

Le président Trump ayant lui-même légitimé beaucoup d’infox, leur degré de circulation sur les réseaux est énorme, et on sent que les gens croient vraiment à ce qui est dit.

Il y a des médias aux États-Unis qui relayent ces infox.

Je pense par exemple à ce qui a été dit sur le fils Biden, Hunter, un dossier a été monté sur lui en amont de l’élection américaine. 

Ça a été très intéressant de voir comment un média comme Fox a commencé à faire croire aux gens qu’il y avait un ordinateur du fils de Joe Biden qui avait été découvert, contenant des photos pédophiles. Et au moment où Fox nous dit qu’ils vont recevoir les documents et les montrer, ils nous expliquent que, hélas, les documents ont disparu.

Ce qui était intéressant, c’est que la même matinée, des journalistes américains nous montrent que oui, Fox a dû trouver une pirouette pour s’en sortir, car les documents étaient fabriqués.

Mais ils avaient déjà été repris par des sénateurs, des gens importants dans l’appareil politique américain, et donc, le mal était fait.


Quelle est la difficulté que peut rencontrer un fact-checkeur ?

Sophie Malibeaux – Journaliste – RFI – France

L’une des difficultés, c’est ce qu’on appelle « l’attribution ». On voit circuler les choses, mais il est difficile de savoir qui les met sur le tapis, qui les envoie, pour quoi faire ?

Il y a beaucoup d’informations, de manipulations venant de Russie, dénoncées par les Européens.

Dans certains cas, c’est vrai, dans d’autres cas, on n’a pas besoin des Russes pour faire circuler ça.

Au moment du scrutin de 2016, il y a eu une grosse interférence russe dans l’élection américaine. Mais depuis, tous les désinformateurs des États-Unis se sont vraiment mis eux-mêmes à produire de façon locale leurs propres infox.

Donc je me méfie de l’attribution, de dire « c’est untel qui fait quoi. »

Souvent, c’est impossible d’arriver à démonter tout le parcours de l’infox. Et ça, c’est un peu dû au fait qu’il y a une certaine opacité sur les réseaux sociaux.


De quoi un fact-checkeur doit-il se méfier le plus ?

Sophie Malibeaux – Journaliste – RFI – France

Il y a quand même beaucoup de technicité, maintenant, parmi les gens qui font intentionnellement de la mésinformation.

On a des produits très élaborés, comme les deep fakes, par exemple.

C’est un vrai problème, car c’est difficile à détecter. Pour l’instant on les détecte, car c’est à moitié bien fait. Quand on met dans la bouche d’Obama un discours qui ne lui correspond pas, vous êtes alerté, et il y a des outils techniques, qui sont disponibles sur Internet et qui permettent de démonter ces deep fakes.

On dit « deep » parce qu’il faut creuser pour les trouver.

Je sais qu’il y a une jeune génération que ça amusera beaucoup d’être en capacité de démonter les manipulations.

C’est du ressort des journalistes de faire cette recherche, mais une bonne partie du grand public va être intéressée de pouvoir elle-même être outillée pour faire barrage aux fausses informations.

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