Journalisme & fact-checking

06. Médias et fact-checking, une relation complexe /

Depuis le début des années 2000, le fact-checking est devenu une discipline médiatique à part entière. Nombre de rédactions ont ouvert un service spécialisé dans la vérification d’informations, et une multitude de sites dédiés ont fleuri sur Internet, dans le monde entier.

Grégoire Lemarchand – Journaliste – AFP – France

Souvent, on a la quasi-assurance que quelque chose est faux ou trompeur, à 99,9%, mais il nous manque une source, une assurance. Dans ces cas-là, il ne faut pas publier. La qualité du fact-check, sa crédibilité, c’est d’être sûr de ce qu’on dit.

En 2010, le fact-checking fait son apparition, d’abord aux États-Unis dans les rédactions du New York Times et du Washington Post.

Grégoire Lemarchand – Journaliste – AFP – France

On ne faisait que vérifier ce que disaient des hommes ou femmes politiques, ou des dirigeants politiques pour vérifier leurs propos. C’est né comme ça, d’abord aux États-Unis, puis c’est arrivé en France. Depuis 3, 4 ans, la discipline a changé. On fait toujours les vérifications des déclarations politiques. Mais compte tenu de l’extraordinaire prolifération de la désinformation sur les réseaux sociaux, avec des photos ou vidéos prises hors contexte, parfois manipulées, les fact-checkeurs vérifient beaucoup de choses en ligne émanant de personnalités publiques, politiques ou pas, mais aussi d’énormément d’anonymes.

En 2016, deux évènements vont être déterminants dans l’histoire du fact-checking : le référendum du Brexit et l’élection de Donald Trump. 

Grégoire Lemarchand – Journaliste – AFP – France 

On a vu sur ces deux événements majeurs dans la vie politique : la désinformation, si on n’est pas en mesure de dire qu’elle a été déterminante, en tout cas il est clair que dans les campagnes de ces deux scrutins, elle a joué un rôle très important. Ça a vraiment été selon moi une prise de conscience dans beaucoup de rédactions, qui soit se sont lancées dans le fact-checking, soit ont accéléré leur investissement là-dedans.

Pour Grégoire Lemarchand, le journalisme citoyen peut tout aussi bien participer au travail de fact-checking d’un journaliste.

Grégoire Lemarchand – Journaliste – AFP – France

Des non-journalistes nous signalent des choses douteuses, nous donnent des éléments d’information, de contexte, qui vont nous aider.

Parfois, on fait même appel directement aux gens : “On a cette photo, on essaye de la localiser. Où et quand a-t-elle été prise ?” Là, des gens vont souvent nous donner la bonne information. Certains parfois ne réalisent pas qu’ils font du fact-checking.

Par exemple, on a une règle pour nos journalistes : face à une publication douteuse, regardez les commentaires. Ils vont questionner ce qui est dit dans le post et certains vont dire : “Attention, ce n’est pas ça !” Et ils vont mettre un lien redirigeant vers l’information.

Ça peut vraiment nous aider.

Les journalistes ont un savoir-faire, une expertise, des règles déontologiques, mais pour autant il ne s’agit pas de dire qu’on est les seuls à avoir le savoir, à être les sachants, ce n’est pas ça. Au contraire, le grand public, journalistes-citoyens, peut être très utile pour nous quand on vérifie les informations.

Mais y a-t-il une différence entre un journaliste et un journaliste fact-checkeur ?

Grégoire Lemarchand – Journaliste – AFP – France

Ce qui les différencie aujourd’hui, c’est que les spécialistes de fact-checking sont sur un terrain très vaste, rempli de pièges, le terrain numérique.

Pas besoin d’être ultra geek ou codeur, il ne faut pas fantasmer sur des journalistes qui seraient sur le dark web en permanence, qui coderaient.

On peut toujours coder, mais ce n’est pas l’essentiel, c’est plutôt d’être à l’aise sur les réseaux sociaux, sur Internet, savoir utiliser des outils open source, qui sont gratuits et accessibles à tous. Maîtriser la recherche avancée, sur les moteurs de recherche, les plateformes, les réseaux sociaux.

C’est aussi faire de la vérification visuelle, utiliser des outils très connus, comme Google Maps ou Google Earth.

Douter de tout et être patient : les qualités principales d’un fact-checkeur pour réussir la vérification d’une infox.

Grégoire Lemarchand – Journaliste – AFP – France

Pour un fact-check réussi, il faut que le lecteur soit capable de refaire le travail qu’on a fait. Par exemple, si on dit d’une photo : “C’était à Paris il y a 2 semaines”, alors qu’elle était prise en Espagne il y a 3 ans, il faut montrer comment on a trouvé qu’elle a été prise en Espagne, et pourquoi.

Comme on s’adresse parfois à des gens en défiance face aux médias, on n’utilise pas des sources “off”, des gens qui disent la vérité, mais veulent préserver leur anonymat, pour de bonnes raisons, souvent.

On ne dit pas que ça ne doit pas servir dans le journalisme, ça sert et on n’aurait pas eu des enquêtes retentissantes comme le Watergate sans sources “off”. Mais dans le fact-checking, on n’utilise que des sources “on”. On ne dira pas “assure l’entourage de…”, mais “assure X, le porte-parole de…”

On a fact-checké le documentaire Hold-Up. Ça prend du temps.

On a mis plusieurs journalistes dessus, car il dure 2h40. On ne s’est pas contentés de faire trois fois rien et dire “c’est du complotisme, ne regardez pas”.

On a pris le temps d’être pédagogiques, de faire parler des experts qui expliquent pourquoi cette vidéo comporte de nombreuses fausses informations. C’est important d’être le plus transparent possible et le plus pédagogique possible.

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