Journalisme & fact-checking

11. Le fact-checking est un sport de combat /

Le sociologue français Pierre Bourdieu avait pour habitude de dire que la sociologie est un sport de combat. Alexandre Capron pourrait peut-être dire la même chose du fact-checking. Journaliste pour Les Observateurs, la plateforme de fact-checking participative de France 24, Alexandre vérifie des informations pour l’édition francophone du site depuis 2012. Il s’est notamment spécialisé sur la vérification des vidéos tournées par des amateurs en provenance d’Afrique de l’Ouest. C’est également lui qui présente l’émission “Info/Intox”, que l’on ne peut que vous conseiller !

Alexandre Capron – Journaliste – France 24 – France

Le fact-checking pour Les Observateurs ce n’est pas seulement vérifier les faits et expliquer ce qui s’est passé, c’est une démarche pour expliquer comment on a atteint cette conclusion aux lecteurs et téléspectateurs.

Depuis plus de 15 ans, le journalisme citoyen participe à la création de l’actualité.

Aux Observateurs, une dizaine de journalistes travaillent chaque jour pour vérifier ces images amateurs.

Alexandre Capron – Journaliste – France 24 – France 

Le premier critère va être : est-ce que l’intox est virale ? A-t-elle été beaucoup partagée, et dans quel contexte ? La viralité qu’on peut connaître en France ne sera pas la même pour une vidéo au Burkina Faso.

Le deuxième critère va être : est-ce que l’intox a un intérêt pédagogique ?

Cette intox n’a pas été très virale, mais vous avez une leçon intéressante sur les réflexes à avoir en général par rapport à votre consommation d’Internet.

Le troisième point : une intox peut-elle avoir un potentiel néfaste important ? Par exemple, attiser la haine. Je dirais que c’est le critère numéro un.

On essaye de viser une communauté pour diffuser une idéologie. Ce sont ces intox qui sont les plus dangereuses.

Les Observateurs possèdent un réseau de plus de 6 000 collaborateurs à travers le monde. Des citoyens qui apportent leur contribution à la vérification de l’information.

Alexandre Capron – Journaliste – France 24 – France

On voit qu’il y a beaucoup d’endroits dans le monde sans présence journalistique. Les citoyens sont les premiers à rapporter ce qui se passe chez eux. Il est important que des journalistes les aident à mettre en forme cette information.

Quand on est spécialiste de la vérification d’images, les métadonnées sont essentielles. Ce sont des informations souvent cachées associées à une photo ou vidéo, qui donnent des informations cruciales. Ça peut être la date de création de cet élément, parfois des données géographiques sur l’endroit où un téléphone a pris une photo. Ces données sont complètement écrasées par les logiciels de messagerie comme WhatsApp.

Par exemple, on a des collaborateurs en Côte d’Ivoire, en République Démocratique du Congo, en Inde, qui peuvent nous aider à vérifier une information sans être journalistes, mais citoyens. Ils comprennent que Les Observateurs sont partisans du journalisme citoyen, et peuvent nous aider à vérifier ce qui s’est passé chez eux.

Une vidéo présentant une bagarre supposée entre le président de Guinée Alpha Condé et son ministre du Travail a circulé sur les réseaux sociaux.

Les Observateurs ont mis plus d’une semaine pour vérifier que cette information n’est en fait qu’une intox.

Alexandre Capron – Journaliste – France 24 – France

D’abord, ça ne semble pas être Alpha Condé. On ne le reconnaissait pas sur la vidéo. Et les publications initiales parlaient d’une Guinée, sans préciser laquelle. En examinant la vidéo de la bagarre entre supposés politiciens, on pouvait voir au second plan des véhicules, notamment une plaque d’immatriculation. En faisant de brèves recherches, on a réalisé que la plaque n’était pas de la République de Guinée. Ensuite, on a regardé le paysage. On a regardé et écouté la vidéo. Les gens parlaient le fang, une langue plutôt parlée en Guinée équatoriale.

Je suis allé sur des groupes Facebook de Guinée équatoriale et j’ai posté la vidéo, en demandant : « Quelqu’un reconnaît-il cette vidéo, les lieux, ou sait ce qui s’est passé ? »  

Beaucoup de personnes ont répondu : « On croirait reconnaître l’université nationale de Malabo. »

On les a contactés pour en savoir plus. Ils ont confirmé que la scène avait bien eu lieu à l’université de Malabo, mais qu’elle était ancienne, et entre un professeur et un étudiant.

On a pu authentifier que cette scène ne s’était pas passée en République de Guinée, mais en Guinée équatoriale il y a plusieurs années.

Selon une étude publiée dans la Revue Science, un article de vérification sera publié 5 à 10 fois moins que l’intox elle-même.

Alexandre Capron – Journaliste – France 24 – France

Vérifier tous les jours les images qu’on reçoit sur les réseaux sociaux, effectivement, c’est très fatigant, car il y a à chaque fois un processus à respecter, pour vérifier ces images.

Si on arrête de le faire, on laisse plus de place à ceux qui diffusent de fausses informations.

Il y avait une journaliste de Libération à Checknews qui a dit quelque chose de très vrai : « Le fact-checking est la revanche des dégourdis. » Car le fact-checking, c’est vraiment utiliser les outils souvent numériques, techniques, pour vérifier l’authenticité d’une image ou vidéo. C’est une démarche très méthodique, de l’ordre de l’enquête du détective, en fait. On utilise une application de recherche d’image inversée, beaucoup sont gratuites, quand on voit une image suspecte circuler sur Twitter ou Facebook.

En utilisant ces outils, on peut vérifier sur des moteurs de recherche comme Google, comme Yandex, TinEye, des moteurs de recherche d’image inversée, si cette image a circulé par ailleurs avant sur Internet. Souvent, en 30 secondes, on réalise qu’une photo diffusée dans un contexte n’est pas de ce contexte-là.

Et on peut immédiatement faire un tweet ou publier un commentaire disant : « Attention, cette image n’a rien à voir avec ce que vous lisez » avec le lien de vérification.

Les qualités principales chez le fact-checkeur : persévérance, ténacité et méthodologie.

Alexandre Capron – Journaliste – France 24 – France

Le fact-checkeur a un côté très suspicieux. Toute information qu’on va recevoir, photo ou vidéo, il faut être dans le doute. Il ne faut pas douter en permanence de tout ce qui existe sur Internet, mais il faut avoir un premier élément qui est de l’ordre de l’instinct et se dire : « Ce que j’ai reçu est bizarre, il y a des codes utilisés dans cette photo ou vidéo qui me mettent la puce à l’oreille et m’incitent à faire une vérification. » Ça peut prendre du temps, de vérifier une information. Il y a des vérifications que je mène depuis des semaines et qui n’ont toujours pas abouti. J’ignore si elles aboutiront un jour. Si par cette méthode-là je n’y suis pas parvenu, j’utiliserai une autre méthode. Passer par la fenêtre si la porte est fermée, pour trouver un autre moyen d’authentifier et vérifier cette image ou vidéo.

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